The Bloody Chamber and other stories

Ilustrateur

Helen Simpson pour la préface

illustration_angela_carter.jpg

 

The Bloody Chamber and other stories (publié en France sous le nom La compagnie des loups) est un recueil de contes en un tome qui regroupe dix contes. Les contes d’Angela Carter ont la particularité d’être difficiles à classer, certaines éditions préfèrent les titrer « nouvelles ». La conteuse réécrit explicitement un conte ou le dissémine. On retrouve dans son recueil « Barbe-Bleu », « le petit Chaperon Rouge », « la Belle et la Bête », « Blanche-neige » etc.. Les contes ne sont pas accompagnés d’illustrations. Angela Carter réécrit « la Belle et la Bête » dans « M. Lyon fait sa cour » et « la jeune épouse du tigre ». Ils font suite à trois contes qui traitent de loups, à partir de la réécriture du « petit Chaperon Rouge ». Les deux contes se suivent. « M. Lyon fait sa cour » est le cinquième conte du recueil, « la jeune épouse du tigre » est le sixième conte du recueil. L’illustration choisie est la couverture de l’édition originale du recueil, publiée en Angleterre. L’éditeur a fait le choix, ce qui est très rare, d’illustrer les deux contes qui mettent en scène des félins, plutôt que le conte éponyme « Le cabinet sanglant », ou la réécriture, plus célèbre, du « petit Chaperon Rouge ». 

 « M. Lyon fait sa cour » commence par brosser le portrait de la Belle. Elle est décrite comme pure, innocente et très jeune. Alors que les routes sont enneigées, la voiture de son père est bloquée dans la forêt. Le lecteur apprend que Belle n’avait demandé qu’une rose blanche à son père, qui s’en allait retrouver, sans succès, sa fortune.  Cherchant de l’aide, il tombe par hasard sur un château style renaissance. Il trouve refuge dans ce château qui semble fonctionner par lui-même. Au moment de partir, il cueille l’unique rose blanche du jardin pour la Belle. La Bête, qui est un lion, apparaît et s’apprête à dévorer le père de la Belle pour le punir. Le père justifie alors son acte en lui montrant une photographie de la Belle. La Bête le laisse alors partir, sous condition de revenir avec sa fille. La Belle, à la fois intriguée et effrayée par la Bête, accepte son invitation à rester dans sa demeure. La Belle et la Bête s’entretiennent tous les soirs. Cependant, au milieu de l’hiver, Belle va rejoindre son père en promettant à la Bête de revenir la voir avant la fin de l’hiver. Mais la Belle et son père, redevenus riches grâce à la Bête, se divertissent à Londres. Belle en oublie que l’hiver touche à sa fin. Apprenant que la Bête est mourante, elle se précipite à son château qui est resté figé dans l’hiver. Elle lui promet de rester à ses côtés et embrasse ses larges pattes. C’est alors que le lion se transforme en homme.

Le conte « la jeune épouse du tigre » a la particularité d’être raconté du point de vue de Belle. La Belle et son père ont fui la Russie et ont abandonné leurs richesses. Ils trouvent refuge en Italie, où son père dilapide les restes de sa fortune aux cartes. Il perd contre la Bête, seigneur de la ville dans laquelle il réside. Faute d’argent à jouer, il met en jeu sa propre fille. La Belle devient alors la propriété de la Bête, qui se cache derrière un costume, un masque et une perruque. Elle arrive au palazzo de la Bête, qui est en ruine. La Bête accepte de libérer la Belle et de lui rendre sa fortune, à condition qu’elle se présente nue devant elle. Refusant à plusieurs reprises, c’est alors elle qui voit la Bête nue, du moins, sans son costume. La Bête est en réalité un tigre. Impressionnée par celui-ci, et ayant conscience qu’elle n’avait pas à faire à un homme, la Belle se dénude à son tour. Ayant respecté l’accord proposé par la Bête, elle est libre et de nouveau riche. Cependant, elle réalise que la vie en société ne lui apportera pas la liberté. Elle se dénude et rejoint le tigre. Elle récupère alors la forme d’un tigre, cette peau de tigre était cachée sous ses premières couches de peau.

Angela Carter réécrit donc le « fiancé-animal », et « la Belle et la Bête », sous-catégorie de ce type. Si « M. Lyon fait sa cour » est une réécriture qui reprend la version de Madame LePrince de Beaumont, « la jeune épouse du tigre » réécrit plus librement le conte. Cependant, dans les deux contes, Angela Carter valorise le personnage de la Bête. La Bête ne cache plus, sous sa laideur, une âme vertueuse et généreuse, mais sa beauté vient de sa bestialité et de son altérité. Face à « la Bête », la nouvelle Belle éprouve une « terreur sacrée ». Dans les deux contes, la Bête est un félin : il est majestueux et impressionnant. Les deux personnages de la Belle se comparent à des agneaux. Elles n’éprouvent pas du dégoût, mais la peur d’être dévorée. Elles se sentent également inférieures au roi des animaux, contrairement aux versions précédentes. De fait, Belle n’est plus un personnage aussi vertueux qu’il a pu l’être. Dans « M. Lyon fait sa cour » le motif du miroir présent dans le conte initial est repris, mais le miroir n’est plus magique : il représente le narcissisme de Belle qui regarde les yeux de la Bête pour s’y voir. Si elle est dévouée à son père, les deux personnages oublient vite leur promesse au profit d’une vie luxueuse en société. Angela Carter oppose donc, comme Madame Leprince de Beaumont, nature et société. Elle dénoncé l’artificialité du train de vie londonien : la Belle commence à perdre sa beauté, à force de se parer. Dans « la jeune épouse du tigre », la Belle n’est plus dévouée à son père. Son père est représenté comme un alcoolique, un joueur qui va jusqu’à parier sa fille par cupidité. Les contes d’Angela Carter n’ont donc plus la même morale. Par opposition à la société, la Bête est plus vertueuse et honnête. Dans « M. Lyon fait sa cour », la Bête est construite en miroir de Belle. Les deux personnages apparaissent dans une lumière blanche qui connote la pureté. De plus, la Belle se reconnaît plusieurs fois en la Bête. À la fin du conte, elle cesse de se regarder dans ses yeux mais reconnaît dans ses paupières une humanité : la Bête n’est plus l’autre, mais un alter-ego. La Belle ayant reconnu en la Bête un partenaire, un égal, il reprend forme humaine : son apparence concorde avec la vision qu’a Belle de lui, tout comme son château. Le personnage de la Bête a également une dimension métaphorique. Il semble que la Belle, apprivoisant la Bête, essaie de saisir sa propre transformation. Le conte d’Angela Carter a, en effet, une valeur initiatique. Au début du conte, Belle est décrite comme innocente, vierge, dévouée à son père, ce qui est métaphorisé par la rose blanche qu’elle lui demande. Cependant, dans le château de la Bête, elle change. Elle apprivoise la peur de la Bête et finit par l’aimer. À Londres, elle constate d’elle-même qu’elle est différente, que son adolescence est terminée. Revenue à la Bête, elle est désignée comme « Madame Lyon » : mariée, elle est devenue une jeune femme, ce qui est métaphorisé par la chute des pétales de rose. Le vrai miroir dans cette version du conte, ce n’est donc pas le miroir qui l’accompagne dans lequel elle se voit de manière superficielle, mais la Bête elle-même. Angela Carter change le sens de ces symboles dans « la jeune épouse du tigre ». La Belle est à l’initiative de la narration. Plus mature et indépendante, elle ne consent pas à son emprisonnement. Les roses blanches qui lui sont successivement présentées sont déchirées, fanées ou dangereuses. Avant d’aller au château, elle se coupe le doigt avec une rose au moment de quitter son père. Le conte a donc également une valeur initiatique : Belle quitte le monde de l’enfance et devient une femme. Elle est la seule humaine dans le château de la Bête. Dans ce château, tout a l’apparence de l’humain sans l’être, à l’instar de la Bête elle-même. Angela Carter met donc en scène une micro-société, qu’elle dénonce comme artificielle. Dans ce château, Belle fait pourtant moins preuve d’humanité que les autres. La Bête est représentée comme sensible, souffrante ; tandis que la Belle rejette les autres avec arrogance. Ce sera seulement dans la nature et en découvrant la véritable apparence de la Bête qu’elle pourra accepter sa condition et sa propre nature. Face au tigre, le rapport de force s’inverse et c’est elle qui « apprendra à courir avec le tigre ». Devant sa propre nudité, elle prend conscience de son rôle en société. Elle réalise que sa place en tant que femme fait d’elle un être passif, dominé. C’est pourquoi, elle décide d’embrasser la véritable liberté en restant aux côtés de la Bête. Elle n’est plus un agneau sacrificiel mais devient un tigre, l’égal de la Bête. La Bête la lape, comme pour la nettoyer, révélant ainsi sa véritable identité, cachée. Comme les autres êtres du palazzo, elle porte un costume en société : sa peau humaine. Ce second conte continue et approfondie le premier qui valorisait déjà l’animalité. Il prend également le contrepied du traditionnel dénouement des contes type le « fiancé-animal » : dans cette version la Bête ne reprendra pas forme humaine mais la Belle reprendra sa forme animale.

La couverture du recueil illustre les deux contes, bien qu’ils ne soient pas les plus connus d’Angela Carter. L’illustrateur a choisi d’illustrer simultanément les deux contes. La tête du lion, posée sur le corps d’une jeune fille, fait référence à M. Lyon. La superposition des deux corps illustre la lecture métaphorique de ce conte : la Belle apprend à aimer la Bête en elle et se construit en miroir d’elle jusqu’à l’accepter. Cependant, cette tête de lion est posée sur la jeune fille comme un vêtement : elle conserve son altérité, et sa beauté « d’un autre ordre ». Mais, la nudité de la jeune fille fait également référence à « la jeune épouse du tigre », conte dans lequel la jeune fille accepte sa nudité face au tigre. Elle va jusqu’à retrouver sa vraie forme, cachée sous sa peau humaine, en devenant un tigre. La présence de la nudité sur la couverture rappelle également l’attachement d’Angela Carter à représenter les femmes comme des êtres sensuels et voluptueux. Plusieurs roses sont représentées sur la couverture. Ce motif est présent dès la version de Madame LePrince de Beaumont. La rose est même à l’origine de l’intrigue. Sur la couverture, elles sont de deux couleurs : blanches et rouges. La rose blanche, présente dans les deux contes, représente la virginité et l’innocence de la Belle. Dans « la jeune épouse du tigre », la rose blanche se teinte du sang de Belle qui est train de se découvrir et de découvrir sa féminité. Le rouge suggère la sexualité et les premières menstruations. La représentation d’une longue chevelure participe également à érotiser la jeune fille. Hormis les roses, la gueule du lion est également rouge. L’attention se porte donc sur la gueule de l’animal et sur la peur, désignée par Angela Carter comme la première des peurs, de la dévoration. Cette peur est réécrite : c’est une « terreur sacrée » face à une beauté « d’un autre ordre ». Cette peur attise la curiosité et finit par devenir, respectivement, amour et admiration pour cet autre qui conserve son altérité, même une fois sa forme humaine retrouvée.

 

Références

Editeur

Gollancz (Angleterre)

Contributeur

Morgane Lebouc

Date

La couverture choisie est celle de la première édition du recueil, publiée en 1979, sous le titre The Bloody Chamber and other stories. La traduction française sur laquelle nous nous appuyons est celle de Jacqueline Huet, dans l’édition du Seuil La compag

Format

in-8

Identifiant

ISBN 978-0-09-958811-5

Gestion des droits

pour la couverture et l’édition anglaise : © The Orion Publishing Group Limited. Pour la traduction française : © Éditions du Seuil

Langue

anglais