Cochon-Neige ou les tribulations d’un petit cochon trop mignon
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Le livre contenant l’histoire de Cochon-Neige (et un second conte intitulé Les origines du miroir magique) est un objet délicieux et sensuel. Il se présente extérieurement comme un rare recueil ancien : petit format qui tient dans la main, épaisse couverture vieux rose douce au toucher, fausse reliure brun rose, titre présenté dans une typographie désuète (rappelant le old english), cerné d’un bandeau. Intérieurement, s’articulent les trois couleurs de Blanche-Neige, noir, blanc et rouge, triade chromatique de base jusqu’au haut Moyen Age : épais et précieux papier blanc, élégante police de caractères patinée par le temps, alternant le noir et le cuivré, belles lettrines noires et ocre rouge en début de paragraphes, fleurons variés en forme de culs de lampe, illustrations traitées dans des tons voisins (sur fond bistre, traits noirs, tâches blanches et grenat) tolérant çà et là une touche de jaune.
Le jeu du faux-semblant se poursuit dans le texte même qui imite les éditions scientifiques des contes
- en multipliant les notes de bas de page parodiques (à destination des enfants mais aussi, le plus souvent, des parents), mêlant considérations et vocabulaire savants, considérations et vocabulaire triviaux ; gloses lexicales, conseils pratiques et commentaires métalinguistiques ou méta-narratifs ;
- en fournissant des documents annexes (le carnet de la méchante reine où elle consigne le « matériel de magie à sa disposition »).
La réécriture proprement dite du conte repose sur un défi narratif initial :
- remplacer la belle héroïne par un petit cochon, certes « blanc comme la neige avec des oreilles rouges comme le sang et la queue noire comme l’ébène », mais « sujet » s’opposant à son modèle par des traits majeurs : humanité vs animalité, féminité vs masculinité, maturité vs immaturité ; et par un trait mineur : beauté vs gentillesse sur lequel cependant va s’articuler la réponse du miroir (« Vous êtes la plus belle mais le petit Cochon-Neige est plus mignon que vous ! »),
- et construire à partir de ce point de départ improbable une logique permettant de rester néanmoins fidèle à la trame narrative prise pour référence, tout en s’autorisant de nombreuses amplifications ou digressions drôlatiques, des jeux de langage et des descriptions échevelées.
Et de fait, sans qu’il manque une seule scène, tout se passe comme dans le conte source … à quelques détails près. Le petit cochon tout mignon (qui n’a qu’un an lorsque la reine tourne son regard sur lui mais « parle très bien pour son âge ») est un naïf qui ne saisit nullement les mauvaises intentions des autres personnages (celles du chasseur : « Oh ! Monsieur, je voulais vous dire que c’est vraiment très gentil de ta part de m’emmener promener comme ça dans la forêt. Tu sais, ma maman ne veut pas que j’aille tout seul dans la forêt ; elle dit que la forêt c’est tout noir et plein de vilains chasseurs et de bêtes sauvages » ; celles des nains qui voient en lui un bon plat de charcuterie potentielle et font chauffer la marmite dans laquelle Cochon a le droit de « prendre un bain » après avoir fait le ménage). Et, contre toute attente ou peut-être comme attendu, arrive un prince qui tombe énamouré du cochon allongé par les nains dans sa vitrine de verre réfrigérée, du persil dans le nez, avant consommation. Le mariage est programmé avec l’assentiment du roi « habitué aux frasques et lubies de son fils » et convaincu qu’il « échappe là sans doute au pire ». La cérémonie, dont il ne saisit pas le sens, ennuie Cochon-Neige engoncé dans sa traine. Pour sortir de la situation problématique, au léger parfum de scandale, où il a placé ses personnages, ne reste plus à l’auteur qu’à faire intervenir un deus ex machina, en l’occurrence la belle reine, qui, terrifiée de retrouver le cochon vivant, lui confesse tous ses crimes pour une absolution. A quoi le cochon répond : « Vous êtes vraiment très jolie, tu sais, et aussi très gentille de me dire tout ça mais tu vois, moi, j’ai super faim, et toi, si j’ai bien compris, tu n’as même plus de pomme à me donner, alors, si tu veux te rendre utile, peut-être tu pourrais prendre ma place là, tout de suite, hein, parce que c’est interminable ce truc. Et tu prends la robe et la traine aussi, s’il te plaît merci». Le prince, quelque peu résigné, se laisse convaincre d’épouser la reine. Par où l’on retrouve enfin, après un départ problématique sur un terrain glissant, une situation canonique ou presque.