"Der Tod und das Mädchen II" ("Dornröschen")
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Description du document : Der Tod und das Mädchen II (Dornröschen) constitue le deuxième des cinq « Drames de princesses » (Prinzessinendramen), des dramolets écrits par Elfriede Jelinek entre 1999 et 2003. A l’origine de ces textes, le décès tragique, en 1997, de Diana Spencer, Princesse de Galles, dont l’insoumission inspire à la dramaturge une réflexion sur la condition féminine face à la domination patriarcale et à la tyrannie du paraître. Dès 1997, Elfriede Jelinek écrivait d’ailleurs un texte au titre programmatique, consacré aux princesses et insipré par les Infantes du peintre autrichien Jürgen Messensee : Prinzessinen ! Brennendes Unterholz ! (Princesses ! Broussailles en feu !).
Le titre donné au cycle de ces cinq dramolets, Der Tod und das Mädchen, est une référence au Lied du même nom, composé en 1817 par Franz Schubert à partir d’un poème de Matthias Claudius. Le sous-titre (Prinzessinendramen) inscrit d’autre part les dramolets dans une intertextualité shakespearienne en formant une sorte de pendant aux célèbres drames historiques (Königsdramen), qui se prolongera en 2005 avec la pièce Ulrike Maria Stuart, Drame de reines (Königinnendrama). Enfin, le choix de la princesse et le titre des deux premiers dramolets sont une référence directe aux Kinder- und Hausmärchen des frères Grimm, dont ils reprennent deux des titres parmi les plus connus et les plus populaires.
Dans ce deuxième dramolet, le personnage éponyme évoque pour débuter sa situation paradoxale : endormie, voici Rose d’Epine condamnée à attendre passivement que vienne « son » prince, sans savoir ce qu’il adviendra d’elle après le baiser censé la délivrer. Mais ce baiser, s’il la ramène à l’état de veille, lui permettra-t-il d’être pleinement elle-même ? Ou bien demeurera-t-elle une « coquille vide » (« nichts als eine leere Schale »), une « image en couverture des magazines » (« Ich tauche auf Coverfotos auf ») ? La description qui est faite du Prince nous fait comprendre, avant même qu’il ne prenne la parole, qu’il n’est qu’un bellâtre égocentré (« Ich ! Ich ! ») aux cheveux gominés et au pantalon de surfer. Ainsi qu’il l’avoue d’emblée de manière totalement décomplexée, ce n’est pas lui qui est à l’initiative du sauvetage de la belle endormie. Il s’agit plutôt d’une mission qui lui a été confiée (« Man hat mir gesagt »), mais qui, admet-il toutefois en découvrant la princesse, en valait la peine. L’homme providentiel ne tarde d’ailleurs pas à se déclarer propriétaire de celle qu’il a délivrée du sommeil (« weil Sie jetzt mein Eigentum sind »), comme si le baiser qu’il lui a donné lui accordait de facto ce privilège.
Le dramolet s’achève sur le mode de la farce, du grotesque et du travestissement. Le prince tend à Rose d’Epine un costume de lapin en peluche et tous deux se mettent à copuler frénétiquement, faisant choir sur eux la haie d’épines. L’indication scénique finale précise que deux poulets déplient une banderole invitant le spectateur à visiter l’Autriche. A la critique de la domination masculine s’ajoute donc une critique du pays natal de l’auteur, devenu un haut lieu européen du tourisme estival et hivernal. En s’insurgeant contre une vision de carte postale, idyllique et fallacieuse, Elfriede Jelinek entend secouer les consciences. Le sommeil de Rose d’Epine pourrait à cet égard être interprété comme une métaphore de la léthargie et l’amnésie qui ont caractérisé l’Autriche à partir des années 1950 et jusqu’à ce qu’éclate, à la fin des années 1980, l’affaire Kurt Waldheim. Replié derrière son prétendu statut de victime de l’Anschluss, le pays a en effet occulté la période 1938-1945, préférant, pour d’évidentes raisons d’image et de marketing, exalter son passé impérial. Probablement les expressions « wiederkäuen » (« ruminer ») und « die saftige Weide » (« la juteuse prairie ») sont-elles, à la lumière de ce sous-texte, à entendre de manière plurielle, notamment comme une référence à la manne touristique et à la position conservatrice d’une Autriche rurale satisfaite de son sort et peu encline au questionnement existentiel.
Références :
Jelinek Elfriede : Der Tod und das Mädchen I-V. Prinzessinnendramen. Berlin : Berliner Taschenbuch Verlag, 2003. Les références des citations contenues dans cette notice sont tirées de cette édition.
Jelinek Elfriede : Drames de princesses. La Jeune Fille et la Mort I-V, traduit par Magali Jourdan et Mathilde Sobottke, Paris, L’Arche, 2006.
Jelinek,Elfriede :Prinzessinen ! Brennendes Unterholz !Zu Jürgen Messensees Infantinnen (1997).
Jelinek, Elfriede: Die Prinzessin in der Unterwelt. Texte paru le 02.01.1998 dans l’hebdomadaire Die Zeit.
Klein, Delphine : « Les Drames de princesses et de reines d’Elfriede Jelinek : déconstruction et impasse du discours genré ».In : Loxias 34, mis en ligne le 15 septembre 2011, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html?id=6874.
Neuenfeldt, Susann : « Tödliche Perspektiven. Die toten sprechenden Frauen in Elfriede Jelineks Dramoletten ‘Der Tod und das Mädchen I-V‘».In : Sprachkunst, 1/2005, pp. 147-163.
Rabenstein-Michel, Ingeborg: « La princesse revisitée : icônes et avatars du féminin dans les Drames de princesses d’Elfriede Jelinek ». In : Revue Interdisciplinaire Textes et Contextes, Numéro 8 (2013) : Avatars du conte au XXe et XXIe siècles.
URL : http://revuesshs.u-bourgogne.fr/textes&contextes/document.php?id=2012
Thiériot Gérard (dir.) : ELFRIEDE JELINEK et le devenir du drame, Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, 2006.