Les Contes de crimes
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Le texte (l’un des récits du recueil) prend la forme d’une réadaptation moderne du conte sous couvert du genre roman policier. Pour rappel « La Belle au bois dormant » fut publiée par Charles Perrault en 1697 dans son recueil Histoires ou contes du temps passé et reprise plus tard par les Grimm en 1812 sous le titre de « Dornröschen ». Les deux versions, dont la trame narrative est fort proche, se distinguent par un certain nombre de différences (notamment le baiser du Prince). C’est sur la version des Grimm que choisit de se fonder Pierre Dubois, qui fait référence au texte d’origine par le biais d’une citation inaugurale : « Ce n’est pas dans la mort que sera plongée la princesse, mais dans un sommeil profond de cent années ». Cette citation indique clairement l’intention du narrateur. Il faut parler avant tout de l’intrigue de cette nouvelle qui diffère de la version originale. L’histoire se déroule, semblerait-il, de nos jours. Un homme (Monsieur Pepinster) vit dans l’espoir de tuer sa compagne. Un jour qu’il l’amène à la fête foraine, germe en lui l’idée du crime parfait : l’endormir à l’aide de l’hypnose et la laisser dépérir. Pendant des semaines il entretient son état, fait appel à un médecin incompétent pour ne pas éveiller les soupçons et décide d’en finir en s’absentant plusieurs jours, prétextant un voyage d’affaire. Sur place, il prend soin de se montrer pour demeurer insoupçonnable. Une fois rentré il est stupéfait de l’atmosphère qui règne chez lui : en effet, comme dans le conte, la végétation a repris ses droits et il doit se frayer un chemin à travers les ronces. Il rentre dans la maison silencieuse et immobile, comme endormie, et va jusqu’à la chambre. Il voit sa femme immobile et se dirige vers elle pour lui donner un baiser. Au même moment cette dernière lui enfonce un couteau dans le cœur. Le conte se termine sur une morale : les plans les plus parfaits ne sont jamais à l’abri d’un imprévu. A la lumière de ce résumé, on voit que l’auteur se situe dans ce que Jean de Palacio appelle la « perversion par contrefaçon ». Pierre Dubois fait subtilement dériver le texte initial en le transposant dans un cadre contemporain, le conte d’origine est présent par intermittence comme si ce dernier tentait de s’immiscer dans la narration de cette nouvelle, soit par déplacement (au début les personnages se rendent dans un musée des contes où se trouve une statue de la Belle au bois dormant), soit par transposition, lorsqu’à la fin de la nouvelle la maison de Pepinster prend les allures du château de la Belle. Il est intéressant de voir que l’auteur a choisi de transposer le conte originel dans le genre du roman policier, un genre a priori bien loin des codes traditionnels des contes. La nouvelle finit par s’imposer au détriment du conte qui n’est finalement présent qu’en toile de fond. Cependant le fait d’aborder le conte de manière détournée permet d’aborder certains sujets de manière frontale. On sait que la question de la sexualité par exemple est prégnante dans les contes de fées : dans La Belle au bois dormant, le fait que l’héroïne se pique avec un fuseau symbolise l’arrivée des règles et la transformation de la jeune fille en femme. Ceci signifie une sorte d’acceptation (la sexualité, l’enfantement, le respect de son époux…) Mais Pierre Dubois retourne complétement ce motif, puisque dans son récit la « Belle endormie » se libère de ses chaines et celui qui se voit « piquer » par le fusain n’est autre que son « prince charmant », retournement qui symbolise l’émancipation de la femme. L’auteur en subvertissant le conte, l’actualise en l’ancrant dans une problématique actuelle. Le prince charmant qui était considéré comme l’absolu est ici perçu comme ce qu’il faut fuir. Ce texte représente un idéal merveilleux qui tend à s’effacer, renforçant la modernisation et la réactualisation du matériau originel.