Snowhite

Reprenant les principales étapes du conte-source, Ana Juan transpose l’histoire dans un contexte géographique et temporel spécifique : un pays anglo-saxon (comme le suggère le titre en anglais) au début du XXe siècle. Si le noir et blanc et l’utilisation très picturale du fusain et de la mine de plomb confèrent à l’oeuvre force et onirisme, ils viennent surtout accentuer la cruauté et la perversion sous-jacentes dans cette réécriture. Ainsi, la forêt et les bêtes sauvages que Blanche-Neige s’imagine trouver à l’extérieur du château de sa marâtre sont en réalité les êtres peuplant les bas-fonds de la ville : prostituées, proxénètes et autres oiseaux de nuits occupent ainsi toute une double page. Les nains, quant à eux, n’ont aucun scrupule à prendre la jeune fille à leur service dans la taverne où ils travaillent, puis à s’en débarrasser contre une poignée de billets. Après avoir été empoisonnée par la marâtre, Blanche-Neige finit en effet exposée à la vue de tous, telle une bête de foire.

L’illustration explicite le texte lorsqu’elle nous donne à voir le remède à la souffrance morale de l’héroïne préconisé par la marâtre, déguisée pour l’occasion en veuve éplorée : une seringue au contenu très suggestif…

Murés dans leur solitude (le mot revient de façon lancinante), les personnages féminins de Snowhite semblent ne pouvoir échapper à un destin des plus tragiques. L’héroïne, violée par M. Prince, propriétaire de la taverne des nains, finira comme sa mère par combler sa solitude en donnant naissance à une fille, elle-même vouée au déterminisme familial. La belle-mère, quant à elle, punie pour sa vanité et sa cruauté, finira noyée dans un lac, à trop s’être admirée dans ses eaux. 

Poussée à son paroxysme, la violence inhérente au folklore originel ne laisse aucune place à l’édulcoration dans cet album qui s’éloigne indubitablement du livre pour enfants et s’adresse davantage à un public d’adolescents ou d’adultes.